Cette histoire sentait le plan galère à dix mille lieues à la ronde. Et encore, elle était généreuse. Si elle avait été honnête, elle aurait dit les choses de façon bien plus crue. Malheureusement, elle n’avait guère eu le choix. Un de ses collègues lui avait rendu service et elle lui en devait une. Une faveur dont il avait besoin spécialement ce soir là. Rien de très folichon ou dangereux. Elle n’avait qu’à jouer les appâts. Il soupçonnait de sa cible de elle ne savait plus trop quoi. Elle n’avait écouté que d’une oreille distraite. Elle devait jouer les allumeuses, le faire boire et surtout, surtout, lui faire cracher le morceau sur ses noirs petits secrets. Pile le soir où elle comptait précisément conclure avec son sexy voisin étudiant. Ce ne serait que partie remise, mais quand même.
Tandis qu’elle se préparait, elle regarda attentivement la photo qu’il lui avait laissée. L’homme avait sans doute un certain charme, mais elle y resterait soigneusement hermétique. Tout d’abord parce que c’était un suspect, et ensuite parce qu’il n’était absolument pas son style. Mais peu importait. Elle était supposée lui faire cracher le morceau. Toute cette sombre histoire l’ennuyait profondément. Déjà. Elle n’était même pas encore partie.

Marjorie poussa la porte du bar. L’endroit, classe et cosy, était relativement plein. Et les clients étaient loin d’être des bouseux de base. Ils étaient même plutôt bourgeois, voire riches. Ce type, Eric Norlander, avait bon gout. Si on pouvait avoir bon gout quand il s’agissait de bars. La jeune femme songea à la soirée ô combien passionnante elle ratait. Ce type avait sacrément intérêt à être présent, parce que sinon son collègue le regretterait amèrement. Mais ce ne serait pas pour cette fois ci. Il avait vu juste. Sa ‘proie’ se trouve juste en face d’elle. Secouant la tête pour disperser ses longues boucles, elle jeta un regard aux alentours. Comme un prédateur cherchant son repas. Ce qu’elle était précisément, ou quelque chose d’approchant. Lissant sa moulante et si courte qu’elle était indécente, petite robe noire, elle avança d’un pas décidé, s’installant avec une fausse lassitude sur le tabouret le plus proche d’Eric. Elle posa sa pochette sur le comptoir.

« Un whisky sec, s’il vous plait. »

Ignorant royalement l’homme à ses côtés, elle siffla cul sec le verre d’alcool. Jamais aucun homme n’avait pu tenir l’alcool, quel qu’il soit, mieux qu’elle. Elle en commanda un second, qu’elle savoura plus lentement. Il fallait qu’elle reste un minimum sobre pour pouvoir mener un interrogatoire sans qu’il ne se doute de quelque chose. Et vu qu’il était loin d’être blanc comme neige, il devait se méfier. Mais qui allait se méfier d’une allumeuse comme elle, qui aurait facilement pu passer pour une pute de luxe ?

Une réunion avec un investisseur potentiel, une entrevue avec un employé capricieux, une conférence pour présenter divers concepts en rapport avec le lancement d'une nouvelle gallerie à Dublin et enfin, une minute de tranquillité au bureau. Tranquillité de courte durée puisque presque aussitôt il fut interrompu dans sa sieste par l'arrivée impromptue de son secrétaire. Un jeune homme doué, talentueux même, mais qui manquait cruellement d'assurance et de confiance en lui. Celui-ci hésita longuement avant d'entrée, il tenait un dossier entre ses mains. Eric se contentait de le regarder, un léger sourire aux lèvres malgré son agacement. Il patienta, voulant le forcer à ouvrir cette conversation qui allait tôt ou tard avoir lieu. Tout en observant le dossier entre ses mains, il se remémorait cette entrevue avec son secrétaire. Chaque mot, chaque parole, l'inquiètude dans sa voix, la peur dans son regard. On aurait dit qu'il allait bientôt mourir, comme si quelque chose ou quelqu'un l'en avait avertis. Il esquissa un léger sourire en y repensant, c'est fou comme une personne pouvait vous divertir bien malgré elle. Il observa l'heure puis poussa un long soupir, il en avait presque oublié son rendez-vous. Il déposa le dossier si effrayant à l'abris des regards et des mains indiscrètes. Puis rejoignant sa chambre il s'habilla avec désinvolture. Il ne voyait aucun intérêt à rencontrer chaque semaine ces même personnes. Ils aimaient l'art, ils avaient de l'argent par conséquent il devait prendre ses responsabilités en tant que Directeur. Il quitta son appartement rejoignant le bar où il avait invité, cette fois, un seul gros client. Il avait choisi ce bar pour plusieurs raisons : la qualité, le service et les salles où il pouvait parler dans le calme. Il avait rejoint une de ces salles, avait attendu longtemps et lorsqu'enfin quelqu'un vint le rejoindre ce fut le secrétaire de "monsieur" qui avait pour ordre de le prévenir de son "indisponibilité". De quoi vous rendre fou, mais il commençait à avoir l'habitude. Tout sourire, visage hypocrite comme il les détestait il fit savoir qu'il pourait le voir un autre soir. Quittant la pièce il s'arrêta au comptoir. Ce mois ci avait été éprouvant, entre la police qui posait beaucoup trop de questions et ce boulot si pénible. Il demanda à ce qu'on lui serve une coupe de champagne et resta longtemps à observer le liquide. Puis alors son attention fut attiré par l'arrivée d'une grand mère femme d'age mûr. Elle possédait une longue chevelure rousse, couleur qui avait tendance à captiver l'enfant qui sommeillait en lui. Puis il analysa sa tenue, le noir était une bonne couleur, néanmoins la robe qu'elle portait été beaucoup trop courte, aux limites de l'indécence. Il la quitta des yeux revenant à son champagne, attrapant sa coupe dont il bu lentement une gorgée. Il lança un nouveau regard à la grand mère charmante femme qui se trouvait près de lui et finalement ses lèvres laissèrent glisser quelque mot : "- Vous ne devriez pas trop boire, surtout dans cette tenue..." Fixant le vide face à lui, il continuait de boire avec lenteur. Ajoutant presque aussitôt : "- Ne dit on pas qu'il faut se méfier des apparences ? Être bien vêtu, avoir un portefeuille bien garnie... ça ne garantie en rien la bonne foie de ces hommes." Il accentua ses paroles en levant sa coupe pour faire le tour du bar. Puis finalement il conclu avec un léger sourire : "- À moins que ce soit l'objectif de votre présence ici, en ce cas je m'excuse de vous avoir... dérangé."